Par Olivier Tosseri
« Accusé François Mitterrand à la barre !» Cette phrase retentira ce mercredi non dans l’enceinte d’un palais de justice mais dans celle d’un théâtre romain. Coupable ou innocent ? Les spectateurs devront répondre à cette question à l’issue d’un procès instruit dans le cadre de la série « Rencontres avec l’Histoire » où la metteuse en scène Elisa Greco convoque devant le tribunal de la postérité des personnages historiques. Après Margaret Thatcher ou Winston Churchill c’est donc au tour de l’ancien président français de répondre à trois chefs d’inculpation : assistance aux terroristes italiens condamnés dans leur pays et qui, grâce à la doctrine qui porte son nom, ont trouvé refuge en France, abus de pouvoir dans le cadre d’écoutes téléphoniques de journalistes et d’écrivains et concussion pour avoir fourni de manière abusive à sa fille cachée Mazarine Pingeot un logement public dans le centre de Paris et divers avantages aux frais de l’Etat.
Rien qui puisse choquer à première vue des Italiens habitués à vingt ans de frasques berlusconiennes. C’est d’ailleurs un des anciens ministres des Affaires étrangères de Silvio Berlusconi, Franco Frattini, qui interprétera le rôle de François Mitterrand. « Sa figure est liée en Italie à sa célèbre doctrine qui est une matière douloureuse pour notre mémoire collective, confie ce magistrat qui au début de sa carrière a enquêté sur la colonne romaine des Brigades rouges. Ça sera d’ailleurs l’aspect le plus délicat pour la défense. » Car en Italie, on dénonce la « parole donnée » par François Mitterrand le 1er février 1985 : « Je refuse de considérer comme terroristes actifs et dangereux des hommes qui sont venus, particulièrement d’Italie, longtemps avant que j’exerce les responsabilités qui sont miennes, et qui venaient s’agréger ici ou là, dans la banlieue parisienne, repentis… à moitié, tout à fait… je n’en sais rien, mais hors du jeu. » L’Italie justement veut savoir et ne comprend pas que la France entrave son lent et difficile travail de mémoire sur ces années de plomb. N’est-elle pas un pays ami et démocratique ?
Franco Frattini s’attachera donc plutôt « à faire valoir cette grande figure politique et européenne qui a renforcé la construction de l’Europe. C’est là son grand mérite. Avec l’Espagnol Felipe Gonzalez et l’Italien Bettino Craxi, au pouvoir à la même époque, il a contribué à l’émergence de la social-démocratie européenne. »
Avec les derniers rebondissements de l’affaire Cesare Battisti, les écoutes téléphoniques nourrissant dans la presse les scandales à répétition émaillant la politique italienne et « la vie secrète » de l’ex-Cavaliere s’étalant toujours à la une des journaux, la pièce écrite par Elisa Greco a un écho tout particulier en Italie. Pour elle, le choix de François Mitterrand était évident. « Je veux à la fois présenter ce grand personnage public, ce Président de la République au pouvoir et au rôle institutionnel inédit pour l’Italie mais sans oublier sa dimension humaine et notamment les mensonges d’Etat, en particulier celui autour de sa maladie.»
Quel jugement portera le public italien sur une figure politique à la fois si proche et si éloignée de ce qu’ils connaissent ? L’art oratoire d’Alberto Toscano, chargé à la fois de l’accusation et de la défense, en décidera. Ce journaliste et écrivain italien installé en France est la personne idéale pour remplir le rôle de procureur. Si son réquisitoire sera sans appel, sa ligne de défense sera plus ondoyante, à l’image de son client.
Par Olivier Tosseri