Balkans

Frattini a “Le Soir”

L’Europe de la Défense n’a pas bougé!
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Entretien de Franco Frattini avec “Le Soir”

Le candidat à l’Otan regrette une Europe «en retrait» 

«Il ne faut pas renoncer à une coopération renforcée pour les pays prêts à aller plus loin» L’ex-ministre italien des Affaires étrangères pousse sa famille politique européenne – celle des Barroso et Van Rompuy – à relancer l’Europe de la Défense. 

«Une force et un leadership européen» ont manqué, nous dit l’ex-président de la Commission.
Philippe Regnier

Deux semaines après leur «conseil de crise» sur le Mali, les 27 ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne se retrouvent ce jeudi, en présence notamment du chef de la diplomatie française Laurent Fabius. Les forces françaises, seules au combat depuis le 11 janvier, quitteront le Mali «rapidement, a déclaré le ministre français au journal Le Parisien d’hier. Maintenant, c’est aux pays africains de prendre le relais». En coulisses cependant, Paris ne cache pas une certaine amertume: «idéalement, nous aurions souhaité une intervention à plusieurs. Nous regrettons évidemment l’inexistence d’une force européenne, glisse une source diplomatique française. On le regrette, mais pas au prix d’une non-intervention», précise-t-il. Quoi qu’il en soit, la France «continuera à pousser pour l’Europe de la Défense». Le Parti populaire européen aussi. La force politique de centre droit dominante en Europe vient d’appeler à Bruxelles à une «implication plus ferme et plus rapide des autres Etats membres de l’UE et de l’Union européenne» aux côtés de Paris. Le point avec l’ex-ministre italien des Affaires étrangères Franco Frattini, à l’origine de ce signal: «Il ne faut pas laisser la France aller toute seule. C’est un dossier pour l’Europe».

L’Europe est absente? 
Il faut nous engager beaucoup plus. L’Europe est un peu en retrait. Il faut une impulsion politique beaucoup plus forte. On ne parle pas d’une région du monde qui nous est indifférente. Pensez à la Libye, l’Algérie: il y a là des intérêts de la France, de l’Italie, de l’UE. Il y a des citoyens européens, des investissements. C’est notre intérêt de renforcer cette capacité de prévention, de défense. Voilà longtemps que des plans existent à ce sujet… 

Qu’est-ce qui a manqué ?
Une force et un leadership européen. A raison, le président du Conseil européen Van Rompuy a mis à l’agenda 2013 une réunion des chefs d’Etat ou de gouvernement sur la défense, la sécurité. C’est la première fois! Et c’est le moment. Franchement, on parle depuis plusieurs années d’une défense européenne, d’avoir si nécessaire une coopération structurée entre un certain nombre de pays européens si tous les pays ne sont pas prêts à le faire. Malheureusement, on n’a pas bougé ! 

Pourquoi ? 
Parce qu’il y a la crise, des problèmes de budget. Or, il faut investir dans le domaine de la sécurité, de la prévention, de la stratégie à long terme. L’intégration entre la défense européenne et l’Otan: c’est la clé pour optimiser les outils, éviter les duplications. Mais cette crise n’aide pas. Les gouvernements sont sous pression de l’opinion, qui refuse les dépenses pour la sécurité, pour les armes. Mais il est du devoir des élites, du leadership, d’expliquer que l’argent que l’on va utiliser pour la prévention sécuritaire, c’est un investissement et pas une dépense inutile. Si le monde avait pensé il y a 15 ans à la Somalie, on n’au- rait pas cette crise dans la Corne de l’Afrique, cet arc de terreur qui commence au Yémen et continue au Sahel. C’est pourquoi je parle d’une défense européenne. Pas pour faire la guerre: pour faire de la prévention. 

Aujourd’hui, la France est en guerre au Mali… 
Il aurait fallu beaucoup plus de prévention. Au Mali, tout le monde était là, toute la communauté internationale assistait, quand les terroristes ont pris Tombouctou, quand ils ont détruit le patrimoine culturel universel. Et personne n’a réagi! Les Nations unies ont dit: “Voilà, c’est aux Africains de réagir, d’envoyer les soldats”. 

Mais est-ce que cela était réalisable en quelques semaines? 
Non. On a attendu le dernier moment puis la France a réagi toute seule, dans une situation d’urgence réelle. Le conseil des ministres européens s’était réuni, a discuté. Nous avons dit qu’il fallait beaucoup plus de temps pour prendre une décision qui soit partagée… et en même temps les terroristes avançaient vers Bamako! La France a bien fait. Mais j’aurais préféré une décision européenne avant les décisions prises au niveau national (pour l’aide logistique bilatérale à l’offensive française). Au moment où l’Europe décidait d’en- voyer une mission de formation de l’armée malienne, l’UE aurait dû adopter une mission de support logistique. 

Puisque c’est compliqué au niveau européen, aurait-il fallu faire intervenir l’Otan ? 
On en avait exploré l’opportunité mais l’Otan a dit, à juste titre, que ce n’était pas une mission pour elle. Pas parce que l’Otan a une image “néocolonialiste” mais parce que c’est une mission de prévention, avec une résolution de l’ONU qui dit que c’est aux Africains de se déployer.

David Cameron annonce un référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l’UE. Peut-on progresser sur la voie de l’Europe de la Défense sans Londres ? 
On ne peut pas. La sécurité n’est pas divisible. Les Britanniques devront comprendre: ils font partie d’une famille européenne qui doit avoir une stratégie partagée de sécurité, de défense… Ils ne sont pas d’accord avec la défense européenne, ils ne veulent pas entendre parler d’une armée européenne. Il faut respecter cette sensibilitéMais il ne faut pas renoncer à aller de l’avant avec une coopération renforcée pour les pays prêts à aller plus loin, telle que le permet le Traité de Lisbonne. Il nous faut au moins neuf pays… 

C’est mûr? 
Pas encore. Il y a une excellente coopération au niveau défense entre cinq grands pays: Espagne, France, Allemagne, Italie, Pologne. Ceux-là seraient prêts à lancer ce projet. Il en faut d’autres. Je n’exclus pas qu’un pays fondateur comme la Belgique puisse réfléchir positivement à l’idée. 

BIO-EXPRESS – En rupture de ban avec le parti de Silvio Berlusconi depuis que ce dernier a lâché Mario Monti, l’ex-ministre des Affaires étrangères italien Franco Frattini (de 2008 à fin 2011) est aujour- d’hui candidat officiel au poste de secrétaire général de l’Otan – et bien placé pour succéder au Danois Anders Fogh Rasmussen en 2014. Mais Frattini, qui fut vice-président de la Commission européenne de 2004 à 2008, reste aussi un ardent défenseur de l’Europe de la défen- se. Il le redit à la lumière de l’offensive au Mali. (PH. R.) 


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